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Aux parents, chaleureusement…

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Introduction

Le concept de mort, dont la signification a fluctué à travers les différentes cultures et tout au long de l’histoire des idées, semble actuellement être pris à nouveau comme référence majeure, particulièrement par les Sciences médicales, qui y voient un mot au sens biologique suffisamment restreint pour n’être caractérisé que comme un arrêt complet et définitif des fonctions d'un organisme vivant, avec disparition de sa cohérence fonctionnelle et destruction progressive de ses unités tissulaires et cellulaires.

La mort correspond à une construction mentale qui se situe, en marge de la connaissance, entre l’intellect et l’âme. La mort est constitutive de la nature de l’Homme et anime pleinement sa pensée. En général, le problème du rapport avec la mort donne lieu à une conception dans les limites des sensations avec la matière. La mort se caractérise comme un principe omnipotent, omniprésent, inaltérable quant à sa nature. Cependant, on peut dire que la mort est un événement majeur pour la destinée de tous les êtres humains. On peut voir dans celle-ci une sorte d’épreuve génératrice de comportement eschatologique.

Une des notions qui domine l’esprit humain est celle qui considère la mort comme le signe d’un discours de libération soit négatif [disparition de l’être, délivrance du péché], soit positif [rétribution éternelle].

Quoi qu’il en soit, pour les uns, il se trouve que l’idée de la mort s’agrège à la culture sociétale qui accueille les défunts et leur garantit un au-delà lui-même envisagé comme une réplique invisible du monde d’ici-bas avec des conditions de vie en relation avec ce que furent leur rang et leur mérite sur la terre.

Pour les autres, n’est-ce pas être des unités monadiques enfermées sur elles-mêmes, et considérant avec angoisse de voir leur individualité disparaître dans le néant tel un élément organique passant dans une plante ou un animal ?

La mort ne déploie-t-elle pas pleinement l’horizon de la réflexion eschatologique ? Pour cela, n’est-il pas essentiel qu’une certaine distance se soit déjà creusée entre la conscience de soi [individu] et le vécu collectif ?

Anthropologiquement, le sens général de la notion de mort est équivoque. Elle comporte souvent un aspect négatif, parfois elle s’entend comme délivrance et libération. La mort délivre de la transgression, ou de l'influence d’un monde considéré comme mauvais. Dès lors, le contenu positif de cette notion se situe dans un environnement eschatologique : la vie éternelle.

La mort demeure à la discrétion du divin, indicible, inaccessible, située au-delà de tout ce que l’homme peut comprendre et saisir. Certitude incontestable, la mort ne révèle-t-elle pas une attention particulière dirigée vers l’Humanité ? La mort n’est-elle pas le procédé parfait pour le jugement et la rétribution de l’Homme selon une échelle progressive, de mérites ou de démérites ?

En définitive, la mort traverse la vie des individus et à leurs yeux le maintien pour l’éternité de leur actuelle forme d’existence est cette manière de faire corps avec le monde, par-delà la coupure de la mort. Cette dernière suscite, dans les sociétés humaines, l’utilité d’un recours compensatoire à un ensemble de principes, d'énoncés, érigés en système eschatologique.

I - Qu’est-ce que la Mort ?

A - La mort - Définition

Indubitablement, la mort désigne la cessation de toute vie à l'intérieur d'un organisme. La mort survient lorsque tous les processus organiques ont cessé de fonctionner. La mort signifie la fin de la vie. Chez l'être humain, la mort est déterminée par l'arrêt des fonctions cérébrales et le début de la décomposition du corps. L'arrêt du cœur ne signifie pas la mort et est qualifié de mort clinique. Il est difficile de fournir une définition exacte à la mort. Du point de vue des théologiens, « la mort est la séparation de l'âme [Nãfs] et du corps ». Du point de vue des médecins, la mort est une réalité biologique et médicale et sa classification ne peut inclure une composante spirituelle de quelque ordre qu'elle soit. La mort d'un organisme est un processus graduel d'arrêts de fonctionnement qui touche en premier lieu les centres cérébraux, cardiaques et respiratoires [mort fonctionnelle] pour se propager ensuite à tous les tissus [mort tissulaire]. La mort est de ce fait le résultat d'une somme de détresses ou de défaillances qui enclenchent un processus complexe dont l'évolution, de durée variable, constitue l'agonie. Celle-ci précède le terme ultime qui est la mort réelle du sujet. Il existe une distinction entre la mort apparente, la mort relative et la mort absolue.

1 - La mort apparente

Elle se fonde sur la présence d'une syncope prolongée caractérisée par une perte de connaissance, un relâchement musculaire, l'activité cardio-circulatoire et respiratoire est présente mais difficile à mettre en évidence à l'inspection ou à la palpation ou à l'auscultation. Ces états peuvent s'observer en cas d'hypothermie, de comas toxiques ou de comas endocriniens, etc.

2 - La mort relative

Il s’agit d’une mort intermédiaire ou clinique. Il s'agit d'un arrêt cardio-circulatoire primitif sans retour spontané à la vie mais le retour à la vie est possible grâce aux moyens de réanimation1.

3 - La mort absolue

La mort absolue fait suite au stade précédant mais de façon progressive et insensible laissant le temps aux lésions organiques et tissulaires réversibles pour devenir irréversibles. D’un point de vue juridique « la mort ne peut être déclarée qu'après avoir utilisé tous les moyens thérapeutiques appropriés disponibles » et que « Seul un docteur en médecine est habilité à constater la survenue de la mort ».

4 - La mort - Notions médico-légales

On parle de mort dès l’instant où le corps commence à se décomposer, à partir du moment où toutes les fonctions vitales sont interrompues : arrêt du cœur, de la respiration, du flux sanguin, des activités cérébrales, etc. Médicalement, certains états mènent définitivement à la mort, alors même que les cellules et divers organes persistent à remplir leurs fonctions. Tel est le cas de la mort cérébrale constatée dans certains cas de coma. Cette définition légale est essentielle, car c’est elle qui va consentir à effectuer des actes tels que le prélèvement d'organes pour la transplantation : la mort légale précède en ce cas la mort physiologique. On maintient ainsi un sujet en état de mort cérébrale sous respiration artificielle, lorsque le cœur continue à battre normalement : cela permet de conserver les organes en bon état en vue d’un prélèvement.

a - La mort cérébrale

La mort cérébrale plus généralement, dénommée coma de type IV ou coma dépassé, est une absence absolue de toutes fonctions cérébrales. La mort cérébrale est définitive. Il est possible de maintenir les autres fonctions de l'organisme grâce à une ventilation artificielle. Pour que la mort cérébrale soit établie, au moins deux médecins doivent procéder à son diagnostic en vérifiant des signes tels que la réponse à la douleur, les réflexes, la mobilité des pupilles, la respiration, et en faisant passer un électrœncéphalogramme [ECG] de 30 minutes. En l'absence de réponse à ces signes et devant un électrœncéphalogramme plat, la mort cérébrale est prononcée.

b - Le coma

Le coma se définit comme étant une altération de l'état de conscience dans laquelle le patient ne peut plus réagir à des stimulations. De fait, le coma ne permet plus à la personne qui en est victime d'avoir une vie relationnelle avec son entourage. Corrélativement à cette absence de conscience, les fonctions vitales sont maintenues. Le coma peut être causé par un traumatisme ayant affecté le cerveau, à une intoxication médicamenteuse [ou alcoolique, on parle alors de coma éthylique, à une tumeur du cerveau ou à un accident vasculaire cérébral [AVC] par exemple.

Symptômes

Différentes expressions du coma existent en fonction du stade : l'échelle de Glasgow permet de quantifier la gravité du coma en élaborant un score de 3 [coma profond] à 15 [état d'éveil et de conscience normal]. Ce score évalue l'ouverture des yeux évaluée sur 4 avec 4 points pour l'ouverture spontanée, 3 pour l'ouverture à la demande, 2 pour l'ouverture à la douleur, 1 pour l'absence totale d'ouverture. Il évalue également la réponse verbale cotée sur 5 avec 5 pour un discours orienté, 4 pour un discours confus, 3 pour des propos incohérents avec quelques mots reconnus, 2 pour des sons sans mots compréhensibles, 1 pour un mutisme total. Enfin, il permet d'évaluer la réponse motrice sur 6 avec 6 pour un acte correctement effectué sur commande, 5 pour une réaction localisée face à la douleur, 4 pour une manœuvre d'évitement non adaptée, 3 pour une réaction de flexion en réponse à la douleur, 2 pour une réponse en extension à la douleur, 1 pour l'absence totale de mouvement.

Diagnostic

Le diagnostic est posé en fonction du score de Glasgow reposant sur l'évaluation clinique. Des examens complémentaires sont réalisés en cas de coma pour la recherche de la cause et sont orientés selon les différentes suspicions cliniques évoquées par le contexte : bilan sanguin, scanner cérébral, IRM 2 en cas de traumatisme et ponction lombaire si on suspecte une méningite.

Traitement

En cas de coma, la prise en charge médicale en urgence est indispensable. Le sujet doit être placé sous surveillance afin de s'assurer du maintien des fonctions vitales [circulation sanguine et donc battements cardiaques et respiration pulmonaire]. Un score inférieur à 8 nécessite une intubation3 pour assurer la fonction respiratoire du patient. Le patient étant incapable de se nourrir, il est alimenté par perfusion sanguine ou par sonde digestive tant que le coma persiste. On fait en sorte d'éviter l'apparition d'escarres, d'œdème cérébral.

Evolution

L'évolution est imprévisible et dépend surtout de la cause. Les comas dus à une intoxication médicamenteuse sont généralement de bons pronostics. L'évolution de ceux ayant une origine traumatique dépend surtout de l'âge [les personnes les plus jeunes ont de plus grandes chances de voir leur état s'améliorer]. Il est possible de voir des personnes rester dans un coma profond pendant plusieurs années. Le coma peut parfois être maintenu artificiellement dans certains cas en utilisant des molécules sédatives.


1 Techniques de réanimation ; branche de la médecine qui s'y rapporte [réanimation cardio-vasculaire, rénale, respiratoire, sanguine, etc.].

2 IRM ou Imagerie par Résonance Magnétique. Appareil qui consiste à réaliser des images du corps en le plaçant dans un champ magnétique [avec un gros aimant] où il est soumis à des ondes de radiofréquence. Aucune radiation ionisante n’est donc utilisée. Selon cette technique, les atomes d’hydrogène de la matière vivante placés dans un champ magnétique intense s’orientent tous dans la même direction ; ensuite on les met en résonance un court instant grâce à une onde radio. À l’arrêt de la stimulation, les atomes réémettent l’énergie accumulée en produisant un signal qui est enregistré par un système informatique. Puis l’ordinateur restitue ces signaux sous forme d’images. La majorité des appareils utilisés en médecine fonctionnent avec des champs magnétiques supérieurs à 1,5 tesla. On parle d’IRM à haut champ. Tesla. Unité d'induction magnétique du système international MKS, correspondant à un weber par mètre carré [symb. T].

3 Intubation trachéale. Geste médical consistant à placer dans la trachée [en passant par la bouche ou par une narine] un tube d'une demi-douzaine de millimètres de diamètre. Cette sonde est équipée d'un ballonnet étanche qui empêche le passage de liquide dans les bronches et permet d'assurer la ventilation artificielle d'un patient. Pour cela on y insuffle régulièrement de l'air. Les intubations trachéales peuvent être employées en service de réanimation chez des personnes dans le coma [incapables de respirer spontanément], pour éviter l'obstruction des voies aériennes supérieures [traumatisme, tumeur ou œdème], mais également au bloc opératoire pendant une anesthésie générale.

5 - Décès

Généralement, le décès est constaté par un médecin par des signes cliniques déterminant un arrêt cardio-circulatoire prolongé. Cela peut être la constatation par un médecin généraliste à domicile pour une personne que l’on sait en fin de vie [personne âgée ou bien souffrant d’une maladie diagnostiquée] ou alors d’un échec des tentatives de réanimation cardio-pulmonaire par une équipe médicale. Dans la plupart des pays, le médecin remplit alors un certificat de décès comprenant la date et l’heure de la constatation de la mort, l’identité de la personne décédée, les causes suspectées, l’absence de contre-indication à une inhumation ou à une crémation. L'état de mort légale entraîne la perte des droits de la personnalité : la personne décédée n'est plus considérée, sauf exceptions, en tant que personne au sens juridique du terme4.

a - Définition générale

La mort biologique résulte de l’incapacité permanente d’un organisme à résister aux modifications imposées par son environnement. Cette définition permet de définir en parallèle également ce qu’est la vie dans sa plus large définition : la capacité à maintenir son intégrité malgré la pression de l’environnement [homéostasie5]. En termes d’entropie6 [niveau de désorganisation], il s’agit pour l’organisme de conserver localement une entropie basse. Or l’entropie d'un système clos ne peut qu’être stable ou s’accroitre d’après les principes de la thermodynamique7 . L’organisme doit donc puiser dans son environnement, d’où la nécessité de respirer, etc. La mort intervient quand l’organisme ne peut plus puiser et entretenir son entropie basse. La principale source d’énergie sur Terre est la lumière du soleil qui permet la photosynthèse.


4 Personne physique. Au sens du droit [français], « une personne physique est un être humain doté, en tant que tel, de la personnalité juridique ». La personne physique se voit alors reconnue en tant que sujet de Droit, et non comme objet de Droit, comme peuvent l'être des choses. L'être humain devient alors titulaire de droits subjectifs et d'obligations envers d'autres personnes et le reste de la Société. La personne physique est à comparer à la personne morale, dans laquelle un groupement se voit doté sous certaines conditions d'une personnalité juridique plus ou moins complète. Néanmoins, la personne morale s'est construite sur la base de la personne physique, et respecte des règles évidemment similaires. Le concept de personne physique est purement juridique.

B - La mort - Notions générales

La signification de la portée de la mort est d’ordre universel. Anthropologiquement, toutes les cultures humaines tentent de la dépasser non pas en la niant, car elle est inéluctable, mais en prolongeant ou en retardant son échéance. L’homme ne peut subsister sans l’avoir, au préalable, considérée, incorporée dans son existence, sans l’avoir tenter de la comprendre, de l’intellectualiser 8 par un quelconque développement ou démonstration [spirituelle, morale, etc.]. La mort demeure l’affirmation de la vie contre la disparition. L’Humanité comprend l’ambiguïté de son effort scientifique et technique à opter pour le sursis contre la mort ; elle conçoit que le consentement à l’existence demeure finalement qu’une manière de surseoir. Ainsi, la Mort octroie un sens à la Vie et vice versa. Devant la vie qui angoisse, qui recherche à gagner du temps devant l’inexorable, qui s’efforce de poursuivre le sens de la vie face au non-sens de la mort.

La quête du bon sens est le plus grand défi de son existence. C’est une proclamation de résiliation d'un engagement envers l’épouvante de l’inconnu : celle de la mort !

Du moins, la mort contraint l’homme à imaginer des raisons de vivre d’avantage, malgré la conviction d’une existence passagère, tourmentée et, en définitive, périssable. Ce faisant, il ne dispose aucunement des clefs du mystère de la mort qui est également celui de la vie. Dès lors, l’homme se met à affronter la mort par son vouloir-vivre plus instinctif, plus réactif aux motivations qui n’appartiennent pas, en réalité, à des phénomènes d’origine naturelle, mais culturelle. En effet, ni la vie et ni la mort ne se présentent pour lui comme étant « naturelles ». Son expérience humaine des choses ne se rapporte qu’aux notions de problème et de valeur, où toute solution s’obtient par réflexion et décision, c’est-à-dire en rapport à la pratique sociale par prescription de règles, par emploi d’actes et de rites, par amoncellement de croyances, de mythes et de superstitions. Quoi qu’il en soit, la mort ne fut jamais pour l’homme une présentation, une donnée, un évènement brut, un phénomène exclusivement biologique. Depuis son apparition sur Terre9, elle a toujours été une notion fondée, façonnée, selon un schème10 culturel, un label de l’existence morale et spirituelle [religieuse], un principe essentiel de la nature humanisée, de l’Univers comme volonté et comme représentation de l’Invisible, de l’Inconnu. Aussi, l’homme s’induit-il en erreur lorsqu’il prétend que les affres de la mort surviennent de la résistance du moi vital ou Principe vital ou Roūh, de sa faiblesse et de sa frayeur. Elles viennent de ce que le Roūh est lui-même un ego de culture et que mourir, n’est pas seulement disparaître, mais faire disparaître un monde d’émotions, d’attachements et d’investissements ; un monde où les notions de possession de la matière, de pouvoir et d’influence sont finalement irréels, d’essence symbolique, imaginativement magnifiés, estimés non pour ce qu’ils sont, mais pour soi-même [ego] par rapport à autrui, contre autrui. Au cours de l’histoire de l’Humanité, la mort a été conceptualisée, ritualisée, institutionnalisée sous forme culturelle.

L’idée qui consiste à envisager la mort comme catalyseur de chaque projet humain en se projetant passionnément vers l’avenir, à connaître un présent dense et fort que dans la mesure où l’on pense à la finitude pathétique de celle-ci.

Idée raisonnable car la course de la vie contre la mort est un aromate de la vie nécessaire à la sapidité de la mort !

Idée séduisante, puisqu’elle révèle jusqu’où peut amener le souci d’insuffler la mort dans la vie, de la caractériser comme ce qui fait vivre. Cependant, idée, sophistiquée, perspicace à l’extrême, car elle présume une exaltation de la personnalité, une dramatisation de l’ego. Elle peut avoir divers motifs tels que servir un idéal, défendre une cause, poursuite du culte du martyr, quête de l’immortalisation, etc.

Ce qui est difficilement concevable pour l’homme est que la mort c’est l’arrêt, la cessation de tout projet. Dès lors, il adopte avec un style de vie, un style de survie à la mort. C’est ce genre de réaction, héritage de la conscience collective ancestrale en face de la mort qui forme un contraste des plus représentatifs avec la vie, le savoir-vivre.

Depuis des temps immémoriaux, l’Humanité construit sa raison en ce qu’elle se représente le temps et l’existence comme un cycle perpétuel passant de l’état de vie à celui de la mort et vice-versa, sans réelle rupture au sein de ce cycle : il consent à entrevoir des phases, voire des mutations, mais il ne peut admettre une suspension du processus.

L’homme se dépossède graduellement de l’aspect subjectif de la vie [c’est à dire les sentiments éprouvés par ceux qui les vivent] pour l’aspect objectif, social, institutionnel [naissance, puis l’initiation, l’âge viril, le mariage, les rivalités professionnelles, les conflits, etc.] ou encore parfois futile [course effrénée à la possession et à la consommation, etc.] et enfin la mort. Chacun de cet instant s’inscrit dans un cercle de l’existence qui conduit irrémédiablement vers une finalité.

L'axiome qui guide la pensée collective archaïque est que la société ou groupe d’individus ne « meurt pas », mais que seuls les individus qui la composent paraissent et disparaissent, naissent et meurent. Par conséquent, il y a lieu de penser que la puissance au sein de la société [groupe], son énergie vitale ou sacrale, sa pérennité reste constante. Or, il s’avère que tout comme l’individu meurt, le groupe ou la société peut périr également. Cela implique que la fraction de puissance inhérente au défunt [un composant de la société] reste incorporée à la puissance globale, au dynamisme de la communauté sociale afin que celle-ci maintienne sa stabilité et sa permanence. D’où cette idée symptomatique : le défunt n’est mort que quand la société [groupe] l’a inhumée selon certaines règles [inhérentes à chaque type de société].

L’observation analytique soutient que la mort ne trahit aucunement le primat du collectif sur l’individuel. Sans conteste, tous deux [individu et groupe] ne représentent pas une totalité différenciée et indivise, et de ce fait ne peuvent échapper aux effets de la mort. Il en résulte que, dans la partie [individu] qui se transforme, le tout [groupe, société] ne cesse de s’accomplir, ou encore que, dans ce qui meurt, en réalité, tout ne meurt pas. À cette conviction se mêlent toutes sortes de représentations, les eschatologies fabulent et affabulent. L’essentiel reste, tout de même, ce sentiment que la mort procède et s’intègre à un Tout universel qui ne se désagrège pas alors que ses constituants se transforment, d’un Tout universel qui se régénère et qui régénère ses composants. C’est l’idée du Tout universel qui exige que l’homme aille au-delà des apparences, qui prescrit qu’il observe et considère la mort comme une apparence, une manifestation.

Autrement dit, la conceptualisation archaïque de la mort ne s’appuie pas, en profondeur, sur des révélations indubitables mais est corrompue par des convictions irréelles, magiques, superstitieuses et mythiques qui se concurrencent et qui nuisent à sa réalité [la mort]. L’argument est indiscutable, il est lié à une croyance savante indubitable, scientifique dirons-nous. D’une part, il intronise le culte d’immortalité et il procède d’une inspiration plus radicale, plus universaliste ; d’autre part, il échappe au tragique de la mortalité-négative, à l’orchestration du mourir-néant qui les survalorise. Enfin, il nie que l'on puisse concevoir la mort en termes de qualités ou de notions tirées exclusivement de l'expérience humaine qui n'est fondée que sur l'observation ou la perception immédiate ; et qui n'a qu'un caractère indirect, en absence de toute donnée théiste. Incontestablement, au fil des âges, les sociétés humaines par des phénomènes culturels n’ont jamais cessé d’accentuer la subjectivation de la mort.

L’individu d’une société peu évoluée meurt « naturellement » car régulé, une mort tranquille parce que fidèle à l’idéal de vie communautaire. Vivant il obéit aux rites, mourant, il évolue vers la mort selon également la même observance, le rite final. L’individu d’une société évoluée ou industrialisée [civilisée] meurt « artificiellement », au fur et à mesure qu’il s’équipe d’une carapace subjective, d’un moi émancipé et cependant ô combien fragile ! À cet égard, les religions promettent la « survie » à la mort.

Quelles que soient les positions de considération vis-à-vis de la mort, l’individu meurt humainement, lorsqu’une interrogation sur la valeur de l’existence émerge. Quant aux réponses, elles diffèrent, se contredisent ou s’accordent. Mais, en toute société, en tout individu, l’interrogation aura lieu. A l’aube de ce XXIe siècle, la « pensée globale » commence à persuader que l’interrogation à propos de la mort elle-même est vide de sens, qu’elle ne représente qu’une modalité du langage ; qu’elle ne concerne que la forme de ce dernier.


5 Homéostasie. Tendance de l'organisme à maintenir ou à ramener les différentes constantes physiologiques [température, débit sanguin, tension artérielle, etc.] à des degrés qui ne s'écartent pas de la normale.

6 Entropie. Grandeur thermodynamique exprimant le degré de désordre de la matière. Par extension, il caractérise le degré de désorganisation ou de manque d'information d'un système, mais possède également de nombreuses significations dans diverses disciplines scientifiques.

7 Thermodynamique. Branche de la physique qui traite des échanges entre les diverses formes d'énergie, des états et des propriétés de la matière, des transformations d'état et des phénomènes de transport.

8 Intellectualiser. Soumettre quelque chose aux opérations de l'intelligence, le réduire à des éléments intellectuels.

9 NAS E. BOUTAMMINA, « L’Homme, qui est-il et d’où vient-il ? - Volume II », Edit. BoD, Paris [France], juillet 2015. 2e édition.

10 Schème. Représentation qui est intermédiaire entre les phénomènes perçus par les sens et les catégories de l'entendement.

C - La mort - Phénomène biologique

La notion de mort s’est érigée autour de l’homme et de sa disparition. Bien entendu, celui-ci l’a étendu à l’animal supérieur, ensuite à toute créature vivante. Cependant, lorsque celui-ci n’est plus au centre de cette conception de par son expérience quotidienne, la définition de la mort devient compliquée. Ainsi, les molécules organiques qui composent les tissus en un processus cyclique continu, se séparent de l’organisme et sont renouvelées par d’autres. La vitesse de ce renouvellement, même dans des tissus, par exemple osseux en apparence les plus résistants, a étonnamment surpris les physiologistes. C’est pour dire que les paramètres spatio-temporels historiques d’un être humain dans son évolution ne changent pas mais se particularisent. Ainsi, ce qui définit la mort de toute structure biologique organisée, c’est la disjonction de son unité. Un végétal se reproduit [ou s'accroît] par boutures, si on isole une de ses boutures et qu’on détruise l’individu, dira-t-on que celui-ci est mort ? Une cellule isolée d’un organisme meurt, dira-t-on qu’elle meurt lors de sa division en deux cellules par reproduction asexuée ou se fusionne avec une autre cellule lors de la reproduction sexuée ?

Il est malaisé de définir les concepts fondamentaux comme ceux de la vie et de la mort qui ne sont que des notions descriptives. Leur définition biophysique est amputée de leur dimension supraphysique ou métaphysique. Toutes deux [biophysique-supraphysique] caractérisent conjointement l’idée achevée du phénomène vie-mort !

L’immortalité de type culture cellulaire ou tissulaire proliférant au laboratoire n’intéressera que le mécanisme biophysique [structure, corps, organisme]. La mort de l’être humain [ou de l’animal supérieur] reste la mort structurale [corps, organisme] et l’immortalité que désire l’homme, c’est le maintien de son individualité [ego].

1 - Mécanismes de la mort

Le système nerveux, les régulations hormonales et métaboliques assurés par la circulation sanguine garantissent l’unité et l’intégrité de l’organisme humain. Aucune cellule de cet organisme n’est capable de survivre si elle n’est pas ravitaillée régulièrement en besoins métaboliques indispensables [molécules utilisées]. Ceci est également valable pour l’individu entier. L’homme peut jeûner pendant plusieurs semaines, un manque d’eau pendant des heures, une privation d’oxygène pendant quelques minutes. Dès lors, certains facteurs limitatifs de survie se caractérisent. L’élément le plus spectaculaire est l’arrêt respiratoire qui semble indiquer la mort. Or, la respiration artificielle, l’oxygénothérapie démontre le contraire puisque le rescapé de la réanimation artificielle fait prendre conscience que le rétablissement de ce paramètre maintient l’individu en vie ou à l’inverse l’abandonne à l’irréversibilité. Ainsi, la mort n’est pas une fatalité mais peut dans certains cas déterminés être vaincue ou évitée par un geste thérapeutique précis. L’étude des mécanismes de la mort bien au-delà des causes de celle-ci a été reconsidérée par la conscience collective.

L’arrêt cardiaque, l’arrêt respiratoire signes de la mort n’est qu’un mécanisme qui peut être réversible si l’on agit en temps utile. Bien entendu, si l’arrêt cardiaque et l’arrêt respiratoire peuvent parfois être surmontés, la destruction des cellules nerveuses par l’anoxie est, en général, le mécanisme de mort résiduel, dont il n’existe aucune parade à l’heure actuelle11. L’arrêt cardiaque ou l’arrêt respiratoire ne définit la mort que par cette lésion cérébrale. Le mécanisme est identique dans l’intoxication par les cyanures qui immobilisent les enzymes transporteuses d’oxygène et interdisent son utilisation, dans la strangulation, la pendaison ou la décapitation qui entraînent un brusque arrêt circulatoire dans l’encéphale.

2 - Mort et coma

Depuis l’aube de l’Humanité, affirmer la mort est chose aisée. Néanmoins, cette affirmation est installée dans un monde émotionnel, sentiments et angoisses, que l’humanité a ritualisé, a enfermé de dispositifs juridiques désignés habituellement comme des garanties techniques. Aussi, depuis toujours la terreur régna d’être inhumé vivant, encore véhiculée par la culture populaire, les légendes.

L’étude des mécanismes de la mort et les progrès thérapeutiques permettent de maintenir en vie un individu dans un état nommé coma dépassé. Les états de coma dépassé sont sujets à polémique dans les pays dotés d’institutions médicales. Les uns protestent contre l’acharnement thérapeutique ; les autres craignent le prélèvement d’organes par l’arrêt thérapeutique trop hâtif des malades en coma dépassé.

a - Cause et mécanisme de la mort

Quand la mort se manifeste soudainement, une période de coma l’a précède et qui révèle l’atteinte diffuse du système nerveux. Il s’agit d’un trouble de la conscience chez un sujet dont la vie végétative est conservée. Certains comas sont provoqués par des affections curables du système nerveux. Les divers types de comas ont tous été longtemps confondus ; puis la compréhension de la gravité propre à chaque coma se révéla. Un comateux est incapable d’expectorer, de tousser ou d’éternuer, ses poumons et ses bronches s’encombrent de mucosités naturellement expectorées. Il est incapable de bouger et, à tous les points de contact, les tissus compressés entre le squelette et le plan du lit s’ulcèrent [escarres12]. Il ne peut s’alimenter [boire, manger]. Il se déshydrate [plusieurs litres par jour de pertes en eau] et, forcément se dénutrit. Finalement, en quelques heures ou en quelques jours, un coma peut tuer bien que sa cause est réversible. Actuellement, les progrès thérapeutiques évitent ce type d’aggravation. Une canule trachéale permet d’aspirer les sécrétions bronchiques en permanence. Les antibiotiques évitent la surinfection. Le traitement régulier des points de contact [pression] évite les escarres, les perfusions veineuses réhydratent et, même pendant un certain temps, nourrissent le patient inconscient, et cela est suffisant, quand l’intervention s’effectue à temps afin de pourvoir à la guérison d’un nombre conséquent, par exemple, de comas toxiques ; la majorité des toxines étant progressivement et spontanément éliminée par l’organisme13.

Il est utile de donner quelques précisions à ce sujet. Certains patients parviennent à obtenir en apparence une vie équilibrée sans toutefois reprendre conscience. Le médecin et la famille se consultent. Quoi qu’il en soit, aussi rompu que soit le médecin, si renforcé soit-il de science et d’expérience, il hésite longuement avant d’interrompre sa réanimation, parce que, sous respirateur artificiel, la respiration, le cœur, la tension artérielle, les constantes biologiques sont en mesure d’être maintenus dans les limites physiologiques.

Bien que le médecin observe, par exemple, des électroencéphalogrammes qui indiquent une absence totale d’activité du système nerveux [tracé plat à plusieurs jours d’intervalle], être au courant que ce patient n’est plus en vie ; qu’il s’agit, en fait, de la survie physiologique de certains organes localisés sous perfusion, la résolution de mettre l’appareil en arrêt demeure pour lui insupportable, tant l’apparence de la vie a à juste titre revêt un caractère sacré. En ce qui concerne la famille, associée à cette décision malgré tout, qui est le plus douloureux, est-ce la prolongation d’une attente sans espoir, l’irrationalité d’un espoir subconscient jamais invaincu, la peur d'admettre le désir d’une fin ?

Les plus légitimes de ces attentions doivent être ployées pour l’intérêt du malade. Le sujet malade ne ressent de ce fait aucune incommodité à ce que l’on poursuive le traitement et a tout avantage à ce qu’on mise sur la possibilité, si infime soit-elle, d’une réversibilité de son état. L’arrêt thérapeutique ne s’envisage que dans la certitude, non pas que le patient est inguérissable, mais qu’il est déjà mort. L’électro-encéphalogramme plat pendant un temps suffisant est actuellement le signe accepté. Pouvoir affirmer par des arguments indiscutables l’irréversibilité de la mort du cerveau.

Les progrès de la médecine au service des malades et dans l’intérêt de la société tout entière consolident la considération de la vie du malade dans l’étude de l’ensemble des mesures thérapeutiques prises. Ce constat ne prend sa réelle valeur pratique qu’à la condition que le décès ait lieu à l’hôpital. Cela implique que la notion d’autopsie14 soit agréée car celle-ci est un acte scientifique qui peut souscrire à des progrès nouveaux dans la lutte contre les maladies et contre la mort.


11 A peu près trois minutes de manque d’oxygène semblent suffire pour léser définitivement les cellules nerveuses.

12 Escarre. Croûte noirâtre et dure qui se forme sur un revêtement cutané ou muqueux ayant subi une ulcération, une mortification.

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