Jules Verne, Adolphe d' Ennery

Michel Strogoff

Pièce à grand spectacle en 5 actes et 16 tableaux
Publié par Good Press, 2022
goodpress@okpublishing.info
EAN 4064066083533

Table des matières


La première de couverture
Page de titre
PRIX 50 CENTIMES
ACTE PREMIER.

PRIX 50 CENTIMES

Table des matières

Tous droits de traduction et de reproduction réservés

J. HETZEL ET Cie, 18 RUE JACOB, PARIS

MICHEL STROGOFF

PIECE A GRAND SPECTACLE EN 5 ACTES ET 16 TABLEAUX

DE MM. A. D'ENNERY ET JULES VERNE

MUSIQUE DE M. ARTUS. — DECORS DE MM. CHERET, BUDE, CHAPRON,

LAVASTRE, NEZEL.

représentée pour la première fois à Paris, sur le théâtre du Châtelet, le 17 novembre 1880.

DISTRIBUTION DE LA PIECE A LA 1RE REPRESENTATION

MICHEL STROGOFF M. MARAIS

IVAN OGAREFF M. PAUL DESHAYES
BLOUNT M. DAILLY
JOLLIVET M. JOUBARD
LE GRAND-DUC M. BOUVER
LE GOUVERNEUR DE MOSCOU M. ROSNY
WASSILI FEDOR M. COULOMBIER
LE MAITRE DE POLICE M. DONATO
L'EMIR FEOFAR M. ROMANI
LE GENERAL KISOFF M. FRUGERCE
UN CAPITAINE TARTARE M. VIALDI
LE MAITRE DE POSTE M. VIVIER
LE GENERAL VORONZOFF M. RAYMOND
UN EMPLOYE DU TELEGRAPHE M.DEBRAY
PREMIER FUGITIF M. SAMSON
DEUXIEME FUGITIF M. ANDRIEU
UN AIDE DE CAMP M. DEGUY
UN AGENT DE POLICE M. BRANCHE
UN GRAND PRETRE M. MAILLART
DEUXIEME AIDE DE CAMP M. ALFRED
UN SERGENT TARTARE M. JULES
PREMIER VOYAGEUR M. AUGUSTE
DEUXIEME VOYAGEUR M. CARTEREAU
UN BOHEMIEN M. AUDUREAU

MARFA STROGOFF Mme Marie LAURENT

NADIA FEDOR Mme AUGE

SANGARRE Mme PAUL DESHAYES

DESIGNATION DES TABLEAUX.

1er. — Le Palais Neuf.

2e. — Moscou illuminé.

3e. — Le Relai de poste.

4e. — L'Isba du télégraphe.

5e. — Le Champ de bataille de Kolyvan.

7e. — La Tente d'Ivan Ogareff.

8e. — Le Camp de l'Emir.

9e. — La Fête tartare.

10e. — La Clairière.

11e. — Le Radeau.

12e. — Les Rives de l'Angara.

13e. — Le Fleuve de naphte.

14e. — La Ville en feu.

15e. — Le Palais du Grand-Duc.

16e. — L'Assaut d'Irkoutsk.

DEUX GRANDS BALLETS REGLES PAR M. A. FUCHS.

ACTE PREMIER.

Table des matières

PREMIER TABLEAU.

Le Palais Neuf.

Une galerie à arcades, splendidement parée et éclairée, attenant à droite aux salons de réception du palais, à gauche au cabinet du gouverneur de Moscou. Portes à droite et à gauche dans les pans coupés. A gauche, la vaste baie d'une fenêtre à large balcon.

SCENE I.

JOLLIVET, GENERAL KISSOFF, AIDES DE CAMP, OFFICIERS, INVITES CIVILS, ETC.

(Ces divers personnages, groupés à droite, près de la porte du salon, regardent danser. On entend l'orchestre du bal.)

L'AIDE DE CAMP.
Les salons peuvent à peine contenir la foule des invités!

LE GENERAL. Oui, et les groupes de danseurs finiront par refluer jusque dans cette galerie… C'est magnifique!

JOLLIVET.
Quel est donc le voyageur qui a osé parler des froids de la
Russie, général?

LE GENERAL.
La Russie de juillet n'est pas la Russie de janvier, monsieur
Jollivet.

JOLLIVET. Non, certes, mais on croirait que monsieur le gouverneur a pour cette nuit transporté Moscou sous les tropiques! Ce jardin d'hiver, qui relie les appartements privés de Son Excellence avec les grands salons de réception, est vraiment merveilleux!

LE GENERAL.
Que pensez-vous de cette fête, monsieur le reporter?

JOLLIVET, montrant son carnet.
Voici ce que je viens de télégraphier, général:
Fête que gouverneur de Moscou donne en honneur de Sa Majesté
Empereur de toutes Russies, splendide!

LE GENERAL. A merveille! Les journaux français parleront de nous en bons termes. Il en sera de même des journaux anglais, je pense, grâce à M. Blount, votre confrère.

JOLLIVET. L'orgueilleux et irascible M. Blount, qui prétend que l'Angleterre, cette reine de l'univers, comme il l'appelle, et le Morning-Post, ce roi des journaux, comme il le nomme aussi, doivent toujours être informés les premiers de tout ce qui se passe sur le globe terrestre!

LE GENERAL.
Ah! tenez, le voici.

SCENE II.

LES MEMES, BLOUNT.

JOLLIVET.
Je parlais précisément de vous, monsieur Blount!

BLOUNT.
Oh! c'était une grande honneur que vous faisiez…

JOLLIVET.
Mais non, mais non!

BLOUNT.
Que vous faisiez à vous-même!

JOLLIVET, riant. Merci! Il est charmant. Avouez, monsieur Blount, que si vous avez, comme je n'en doute pas, un excellent coeur, l'écorce est furieusement rude!

BLOUNT. Mister Jollivet, quand une bonne reporter anglaise quittait son pétrie, il devait emporter beaucoup de guinées, de bons yeux, de bons oreilles, une bonne estomac, et laisser son coeur dans son fémille!

JOLLIVET.
Et c'est ainsi que vous voyagez, monsieur Blount?

BLOUNT.
Yes!… si vous permettez…

JOLLIVET.
Sans la moindre sympathie pour un confrère d'outre-Manche?

BLOUNT. Si vous permettez, mister Jollivet!… Et si vous permettez pas,… ce était tout à fait la même chose!

JOLLIVET.
Vous êtes admirable de franchise et de bonhomie!

(Musique au dehors.)

LE GENERAL. Si je ne me trompe, messieurs, ces Tsiganes qui ont demandé à se faire entendre au bal du gouverneur, vont commencer leur concert. Je vous engage à écouter cela! C'est fort curieux!

JOLLIVET.
Certainement, certainement, général…

(Le général se dirige vers le salon et les invités se rapprochent de la porte. Blount et Jollivet restent en scène.)

JOLLIVET, s'asseyant. Ma foi, il fait trop chaud par là, je reste ici. (Blount s'assied de l'autre côté, tire son carnet et se met à écrire.) Permettez-moi, monsieur Blount, de risquer une phrase toute française! "Cette petite fête est vraiment charmante."

BLOUNT, froidement. J'avais déjà télégraphié: "splendide," aux lecteurs du Morning-Post.

JOLLIVET. Très bien. Mais, au milieu de cette splendeur, il y a un point noir. On parle tout bas d'un soulèvement tartare qui menace les provinces sibériennes!… Aussi ai-je cru devoir écrire à ma cousine…

BLOUNT, froidement. Cousine… Ah!… c'est avec son cousine… que M. Jollivet correspondait?

JOLLIVET. Oui, monsieur Blount, oui!… Vous correspondez avec votre journal, moi avec ma cousine Madeleine! C'est plus galant! Or, elle aime à être informée vite et bien, ma cousine! J'ai donc cru devoir lui marquer que, pendant cette fête, une sorte de nuage avait obscurci le front du gouverneur!…

BLOUNT.
Il avait une front rayonnante, au contraire!

JOLLIVET, riant. Et vous l'avez fait rayonner dans les colonnes du Morning-Post?

BLOUNT. Ce que je télégraphie intéresse mon journal et moi, seulement, mister Jollivet.

JOLLIVET. Votre journal et vous seulement, monsieur Blount. Eh bien, mais c'est avouer alors que cela n'intéresse guère vos lecteurs!

BLOUNT, furieux.
Mister Jollivet!

JOLLIVET souriant.
Monsieur Blount!

BLOUNT.
Vous moquez toujours de moi, et je permettais pas, entendez-vous…
Je permettais pas!

JOLLIVET.
Mais non… mais non!…

SCENE III.

LES MEMES, LE GENERAL, LE GOUVERNEUR, OFFICIERS, INVITES.

LE GOUVERNEUR. Bravo! Bravo! Ces Tsiganes sont vraiment pleines d'originalité et méritent leur réputation! (Aux reporters.) Ah! messieurs, vous étiez à votre poste pour les entendre!

JOLLIVET.
Elles sont charmantes, monsieur le gouverneur!… C'est ce que
me disait à l'instant mon excellent confrère et ami, M.
Blount.

BLOUNT.
Confrère, oui… Ami, non.

LE GOUVERNEUR, riant.
Il y a là quelques jolies filles qui feront fortune!… (Il
passe vers la gauche, après avoir pris le bras du général
Kissoff.)

JOLLIVET. Dites donc, monsieur Blount, il a l'air bien joyeux, M. le gouverneur! Il faut qu'il soit terriblement inquiet!… Qu'en pensez-vous, monsieur Blount?…

BLOUNT, sèchement. Ce que je pensai ne regardait pas vous! (Ils se séparent et se mêlent aux divers groupes.)

LE GOUVERNEUR, au général.
Parle-t-on du soulèvement tartare, général?

LE GENERAL. Oui, et peut-être plus qu'il ne conviendrait! Je ne serais pas étonné qu'au sortir du bal, ces deux reporters n'allassent exercer leur métier de chroniqueurs de l'autre côté de la frontière.

LE GOUVERNEUR. Ils connaissent, sans aucun doute, cette grave nouvelle d'un soulèvement qui jette une moitié de l'Asie sur l'autre! — Le fil fonctionne toujours entre Moscou et Irkoutsk?

LE GENERAL. Oui! Votre Excellence peut le réquisitionner pour le compte du gouvernement et l'interdire au public.

LE GOUVERNEUR. C'est inutile. L'important était que le Grand-Duc, en ce moment à Irkoutsk, fût averti. Il sait que Féofar-Khan, l'émir de Bouckhara, a soulevé les populations tartares, qu'à sa voix, elles ont envahi la Sibérie; mais il sait aussi, par notre dernier télégramme, que nos troupes des provinces du nord sont maintenant parties pour le secourir. Il sait le jour exact où cette armée arrivera en vue d'Irkoutsk, et où il devra faire une sortie générale pour écraser les Tartares!…

LE GENERAL.
Nos troupes auront facilement raison de ces hordes sauvages!

LE GOUVERNEUR. Ce qui m'étonne, c'est que ce Féofar ait pu concevoir le plan de ce soulèvement et le mettre à exécution. Lorsqu'il a tenté une première fois d'envahir nos provinces sibériennes, il avait, pour le seconder, ce général Ivan Ogareff, qui, maintenant, expie sa trahison dans la citadelle de Polstock; mais, cette fois, le khan de Tartarie, livré à ses propres inspirations, n'a plus Ogareff auprès de lui… et je ne puis m'expliquer…

SCENE IV.

LES MEMES, IVAN, SANGARRE, TSIGANES.

Ivan est sorti du salon et s'est rapproché du gouverneur. Sangarre et ses Tsiganes sont restées au fond. — Les reporters et les officiers causent avec elles.

IVAN, déguisé en vieux bohémien et parlant du ton le plus
humble.
Monsieur le gouverneur… monseigneur…

LE GOUVERNEUR.
Qu'est-ce?… Ah! c'est toi, vieux bohémien! Que me veux-tu?

IVAN. Je viens demander à Votre Excellence si elle est satisfaite des Tsiganes, auxquelles on a bien voulu réserver une place dans le programme de cette fête?

LE GOUVERNEUR. Enchanté,… et j'aime à croire que, de ton côté, tu n'auras pas à te plaindre!… Bien rafraîchis, bien payés?…

IVAN.
Oui, monseigneur, oui!… Aussi, je ne voulais pas prendre
congé de Votre Excellence, sans l'avoir humblement remerciée!
Sangarre se joint à moi!…

LE GOUVERNEUR.
Sangarre?… Ah! cette belle fille que j'aperçois là?

IVAN, faisant signe à Sangarre de s'approcher. Oui… Sangarre est la véritable directrice de ces Tsiganes, Excellence!… A elle revient la meilleure part des compliments que vous avez dédaigné leur adresser! (Sangarre reste fièrement campée sans mot dire.)

LE GOUVERNEUR.
Elle ne parle pas le russe?

IVAN. Hélas! non, monseigneur. Aussi, moi, le vieux bohémien, je suis leur factotum, j'organise les concerts, je traite pour les fêtes. Sans moi, la petite troupe serait souvent embarrassée. C'est même à ce propos que je venais solliciter une faveur de Votre Excellence…

LE GOUVERNEUR.
De quoi s'agit-il?…

IVAN.
C'est demain que finissent les fêtes en l'honneur du czar.
Nous n'avons donc plus rien à faire ici, et notre intention
est de repasser la frontière.

LE GOUVERNEUR.
Ah! vous voulez retourner en Sibérie?

IVAN. C'est un peu notre pays… Excellence. Or, la frontière va être encombrée par tous ces marchands d'origine asiatique, qui retournent dans leurs provinces. On sera arrêté à chaque instant aux postes de police, et…

LE GOUVERNEUR.
Eh bien! n'as-tu pas un passeport en règle?

IVAN. Sans doute, monseigneur; mais, Votre excellence le sait mieux que moi, un passeport en règle, ça n'existe guère en Russie. Il y manque toujours quelque petite chose!… tandis que si Votre excellence, qui a daigné se montrer satisfaite de nous, voulait bien m'en donner un… spécial, revêtu de sa signature…, avec ce précieux talisman, nul obstacle à redouter… et… je pourrais partir en avant, afin de préparer les étapes de notre troupe!

LE GOUVERNEUR. Soit! Toi et les tiens, vous êtes de braves gens qui avez fait grand plaisir au Palais Neuf, et je ne refuse pas de vous être agréable.

IVAN.
Je baise humblement les mains de Votre Excellence.

LE GOUVERNEUR.
Et quand comptes-tu quitter Moscou?

IVAN. Moi?… demain… au lever du soleil, monseigneur, avant que les portes de la ville ne soient encombrées par les milliers d'étrangers qui vont partir.